Notion d’ontologie

Plan :

Un peu d’histoire

Les années 80 ont vu le développement de nombreux Systèmes Experts (SE) réalisant des tâches variées (ex : diagnostic, conception, planification, maintenance) dans des domaines également variés (ex : médecine, ingénieries mécanique et électronique, robotique, finance). L’expérience de leur développement a toutefois montré que la construction d’une Base de Connaissances (BC) était un processus complexe et nécessitant un temps considérable. Le souhait des développeurs est dès lors de pouvoir réutiliser et partager des BCs ou, à tout le moins, des parties de BCs.

Plusieurs scénarios sont envisagés :

Ces scénarios se heurtent cependant à plusieurs barrières :

Cette question de la réutilisation et du partage de BCs est donc difficile et implique plusieurs dimensions. Au début des années 90, des chercheurs réunis au sein du projet américain « Knowledge Sharing Effort », soutenu notamment par la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency), décident de s’attaquer au problème en privilégiant la représentation explicite du sens. Ils nomment « ontologie » une telle représentation.

Première définition

Définition : une ontologie est une spécification explicite d’une conceptualisation.

Le terme « conceptualisation », dans la définition, fait référence à un système de concepts, autrement dit à un ensemble structuré de concepts. L’expression « spécification explicite » signifie, pour sa part, que la conceptualisation est représentée dans un langage. Ce langage peut être une langue naturelle (ex : français, anglais) ou un langage formel (ex : logique du 1er ordre, réseau sémantique).

Mais pourquoi parler d’« ontologie » ? Ce terme est un emprunt à la philosophie, car il désigne déjà (Petit ROBERT, 1979) : la partie de la métaphysique qui s’applique à l’être en tant qu’être, indépendamment de ses déterminations. L’Ontologie, en tant que discipline, se donne pour objectif de caractériser les différents modes d’existence des objets, suivant les espèces d’objets (naturels, artificiels, esthétiques, etc.).  On retrouve bien ce souci de caractériser les concepts dans différents domaines.

Nature d’un concept

Selon une tradition remontant à Aristote, un concept peut se définir comme une entité composée de trois éléments distincts :

Ces éléments sont habituellement présentés comme constituant les sommets d’un « triangle sémantique » (Ogden et Richards, 1923).

FIG 1 – Le triangle sémantique

Prenons l’exemple du concept ÉTOILE :

Le concept ÉTOILE a pour extension un ensemble d’objets. Nous le nommons pour cette raison concept générique. Il faut noter que le triangle sémantique permet de rendre compte également de concepts individuels, ayant pour extension un unique objet. Pour s’en persuader, on peut prendre l’exemple du concept ÉTOILE DU SOIR (déjà exploité par le logicien allemand Gottlob Frege dans ses écrits) :

Cette clarification de la notion de concept permet du même coup de clarifier la notion d’ontologie :

La nouvelle définition ci-dessous tient compte des précisions qui viennent d’être apportées :

Définition plus précise : une ontologie est la spécification explicite d’un ensemble de notions de concepts génériques.

Pour gagner encore en précision et permettre d’appréhender ces objets, les visualiser et les manipuler, il reste à voir comment – pratiquement - on peut spécifier une notion.

Spécification d’une notion

Faisons pour cela un détour par les dictionnaires dont la fonction est – justement – de rendre compte du sens des mots de la langue. Ci-dessous, nous avons rassemblé quelques définitions extraites du Petit ROBERT (édition de 1979) :

On peut observer dans la forme de ces définitions une régularité : le concept à définir (nous l’avons placé, plus exactement son terme ( !), entre guillemets) est systématiquement défini par rapport à un autre concept (nous avons souligné son terme) en précisant une différence ; cette différence correspond à des propriétés vérifiées par les objets réalisant le nouveau concept (ex : CAMION) et que ne partagent pas les objets réalisant le concept de référence (ex : VÉHICULE AUTOMOBILE).

Ce mode de définition relève en fait d’une longue tradition, que l’on peut faire remonter à Porphyre (234-305, de notre ère). Pour classer l’ensemble des objets du monde en catégories abstraites, Porphyre avait adopté le mode de définition suivant : nouveau genre = genre proche + différence. L’arbre de Porphyre (cf. figure 2) peut être considéré comme un premier exemple d’ontologie.

FIG 2 – L’arbre de Porphyre

Définir un concept par rapport à un autre revient à introduire un ordre sur les concepts. Cette relation, exprimée en français par l’expression « est un(e) », est appelée relation de « généralisation », et son inverse relation de « spécialisation ». L’existence d’un tel lien entre concepts se justifie par l’existence d’une relation d’inclusion entre les extensions de ces concepts.

Définition : le concept CONCEPT1 généralise le concept CONCEPT2 (resp. le concept CONCEPT2 spécialise le concept CONCEPT1) ssi l’extension du concept CONCEPT2 est incluse dans l’extension du concept CONCEPT1.

Dans l’arbre de Porphyre, le concept ÊTRE VIVANT généralise le concept ANIMAL, ce qui signifie que tout animal est un être vivant. Il faut noter qu’au fur et à mesure que l’on descend dans l’arbre, on ajoute des propriétés (les différences), ce qui a pour effet de réduire la taille des ensembles d’objets réalisant les concepts.

Note terminologique : le terme « subsomption » (encore un emprunt à la philosophie !) tend à remplacer le terme « généralisation » dans le domaine de l’ingénierie ontologique, concerné par la construction d’ontologies, et nous l’utiliserons préférentiellement dans la suite du cours. On parlera ainsi de « liens de subsomption » et on dira, dans le cas de l’arbre de Porphyre, que le concept ÊTRE VIVANT « subsume » le concept ANIMAL, ou inversement, que le concept ANIMAL « est subsumé par » le concept ÊTRE VIVANT.  

 

Dans les exemples que nous venons de voir, les notions sont exprimées au moyen de liens de généralisation/subsomption. Ces liens constituent le principal mode de structuration d’une ontologie. Pour autant, d’autres relations sont habituellement utilisées, comme le montrent les compléments de définition donnés ci-dessous (les termes exprimant les nouvelles relations sont soulignés) :

Ces relations permettent de rendre compte d’autres propriétés vérifiées par les objets réalisant le concept et de contribuer ainsi à exprimer le sens des concepts. De cette remarque, nous déduisons la définition suivante pour la notion de « notion » :

Définition : la notion d’un concept est un ensemble de propriétés satisfaites par les objets réalisant le concept.

Dans la suite du cours, nous verrons que certaines propriétés sont plus importantes que d’autres pour définir des concepts.

Exercices

Exercice 1

Deux termes sont dits synonymes s’ils ont même sens, c’est-à-dire s’ils expriment une même notion. Pour chacune des notions suivantes, trouver des termes synonymes les exprimant.

Solution de l’exercice 1

Un(e) « bassin », ou « bassine » ou « cuvette » ou « saladier » ou « baquet » ou « auge », est un récipient portatif creux, de forme généralement ronde ou ovale.

Un(e) « cercueil », ou « bière » ou « sarcophage », est une longue caisse dans laquelle on enferme le corps d’un mort.

Un(e) « chaîne », ou « chaînette » ou « châtelaine » ou « gourmette » ou « collier », est une succession d’anneaux de métal entrelacés.

Un(e) « plaisanterie », ou « blague » ou « boutade » ou « galégade » ou « bon mot » ou « calembour », est un propos destiné à faire rire.

Note : les linguistes prétendent qu’il n’existe pas de synonymie parfaite. Dans la pratique de construction des ontologies, étant donnée une notion, on identifie habituellement un terme « vedette » qui exprime, mieux que les autres, cette notion.

Exercice 2

Deux termes sont homographes (et donc homonymes) s’ils s’écrivent de la même façon mais ont des sens différents, c’est-à-dire qu’ils expriment des notions différentes. Trouver, pour chacun des termes suivants, au moins deux notions différentes qu’ils expriment.

Pavillon :

Manche :

Canon :

Solution de l’exercice 2

Pavillon :

Manche :

Canon :

Note : un cas d’homonymie fréquent correspond à la présence, pour un même terme, d’un sens courant et d’un sens technique. C’est le cas, par exemple, pour le terme « étoile » :

Ce phénomène est notamment à l’origine des difficultés rencontrées dans la réutilisation et le partage de BCs et justifie l’intérêt d’expliciter le sens des mots utilisés dans les représentations.

Exercice 3

En vous basant sur la notion courante des concepts ci-dessous, construire une taxinomie reposant sur des liens de subsomption. Pour simplifier la représentation graphique de cette taxinomie, il n’est pas nécessaire de faire apparaître les différences, comme dans l’arbre de Porphyre.

Concepts à considérer : document, support de cours, document pdf, document pédagogique, page personnelle, document électronique, page Web.

Solution de l’exercice 3

Note : le fait que deux concepts spécialisent un même concept ne signifie pas pour autant que l’intersection de leur extension est vide. Par exemple, il existe des documents pédagogiques qui sont également des documents électroniques !

Test

Concernant les objectifs poursuivis par la construction d’ontologies

L’interopérabilité entre applications, que suppose le partage de connaissances, est visée :

  1. au niveau sémantique
  2. au niveau syntaxique
  3. autre

Concernant la nature d’une ontologie

Ontologiquement parlant (!), une ontologie est :

  1. un objet conceptuel
  2. un objet syntaxique
  3. autre

Concernant la nature des concepts (question difficile !!)

Deux concepts ayant des notions différentes et étant exprimés par des termes différents ont nécessairement pour réalisation :

  1. un même ensemble d’objets
  2. des ensembles d’objets différents
  3. autre

Réponses au test

L’interopérabilité entre applications, que suppose le partage de connaissances, est visée :

  1. au niveau sémantique : il s’agit de partager le contenu de BCs indépendamment des langages de représentation utilisés par les applications.

Ontologiquement parlant (!), une ontologie est :

  1. un objet syntaxique, couché sur un support matériel (papier ou électronique), ce qui permet de les échanger sur le Web !

Deux concepts ayant des notions différentes et étant exprimés par des termes différents ont pour réalisation :

  1. autre : cela dépend ! En général, de tels concepts ont pour extension des ensembles d’objets différents, mais il existe des exceptions. Par exemple, le concept ÉTOILE DU MATIN, qui a pour notion d’être la dernière étoile à briller dans le ciel, le matin, a même extension que le concept ÉTOILE DU MATIN, à savoir la planète Vénus. De même, les concepts génériques POLYGONE À TROIS CÔTÉS et POLYGONE À TROIS ANGLES ont pour réalisation commune, l’ensemble des triangles. De tels concepts sont dits « co-référentiels ».